One Mort Time… De l’érotisme au coeur de la nuit

J’ai une formidable nouvelle à partager avec vous : une de mes nouvelles a été sélectionnée pour le recueil du Prix de la nouvelle érotique 2019 !

Participer au Prix de la nouvelle érotique est une aventure fabuleuse : écrire une histoire en une nuit, dans la magie des heures sombres.

Retour arrière, au soir du 27 octobre 2018, je suis chez moi et organise les derniers préparatifs : la thermos de café est prête, les canettes de coca et de Redbull aussi. J’ai acheté une montagne de junk food pour m’alimenter. Comme les 299 autres fous inscrits pour ce défi, j’attends le mail envoyé par les Avocats du diable. Il contiendra la double contrainte à respecter pour que la nouvelle puisse être considérée comme valide. Le mail tombe dans ma boîte à 23h59.

Le thème est « One Mort Time » et le mot final « Entonnoir » !
Prix de la nouvelle érotique 2019
One Mort Time

Le sujet me parle tout de suite, une histoire prend forme. Le sexe et la mort vont si bien ensemble. J’en trace les grandes lignes au brouillon pour structurer le récit. Mais « entonnoir », argh ! Il me faudra une petite recherche sur Wikipedia pour m’en sortir.

Et une longue, longue séance d’écriture commence. Au début, les idées sont encore claires. Et puis, la magie de la nuit opère. Dans le silence de la maison, les barrières de la pudeur s’effondrent sous le poids de la fatigue. L’inconscient se libère de ses chaines, les mots s’enhardissent, les phrases transgressent les tabous. Je suis dans un état très étrange, à la frontière de la transe, et j’en oublie même de boire et de manger. J’ignore si le changement d’heure est passé, petit cadeau de soixante minutes pour boucler l’épreuve.

Avec la fatigue, le rythme d’écriture ralentit, il reste très peu de temps pour se relire, supprimer les coquilles. J’envoie mon texte au dernier moment, quelques minutes avant sept heures.

Après commence l’attente, la très longue attente pour savoir si je fais partie de la présélection : l’équipe des Avocats du diable doit départager 242 nouvelles avant la nuit du passage à l’heure d’été ! Puis encore quelques semaines pour apprendre avec joie que mon histoire est retenue pour le recueil.

Découvrez gratuitement le recueil
Prix de la nouvelle érotique 2019
Le grand jeu

Si vous voulez savoir comment je m’en suis sortie, à quoi peut ressembler une nouvelle érotique en science-fiction et lire les huit autres excellentes nouvelles du recueil, vous pouvez l’acheter dans toutes les bonnes librairies. Vous y découvrirez en particulier les textes des deux lauréates : La peau de l’ours d’Agathe Rivals et Guitar Heroin de Keena McKeelogan.

Cadeau : Pour les amateurs de lecture numérique, c’est tout simplement gratuit et disponible sur Amazon ou la Fnac.com entre autres.

Le recueil en fichier Mobi sur Amazon

Le recueil en fichier epub sur fnac.com

Tous mes remerciements :

– aux Avocats du diable pour l’organisation de ce concours, dont les conditions si particulières favorisent le dépassement de toutes les limites ;

– Au Diable Vauvert et à Marion Mazauric pour son soutien au prix et l’édition du recueil !

Murakami et moi, c’est pas le grand amour…

Haruki Murakami m’avait été recommandé par quelques lecteurs aguerris dont je connais et partage parfois les gouts. Sur le papier, ça collait : l’auteur flirte avec le fantastique, la SF, mes genres préférés. A l’arrivée, une grosse déception.

Le passage de la nuit Haruki Murakami

L’année dernière, je me suis coltiné à grand-peine les trois tomes de 1Q84. Déjà, à l’époque, je m’étais plainte de la capacité de Murakami à pisser de la copie avec des descriptions aussi minutieuses qu’inutiles et une propension à faire espérer beaucoup en maniant les codes de la SF sans vraiment remplir le contrat. Ses fans m’ont répondu : « Tu n’as pas lu le bon ! », « il est meilleur sur des livres courts ».

Au hasard d’un passage en librairie, où Murakami bénéficie toujours de très belles mises en place, je tombe sur « Le passage de la nuit ». Le titre en lui-même recèle une promesse. 230 pages. Nouvelle tentative, pleine d’espoir et d’optimisme.

Pourtant, cette nuit s’est transformée en deux mois de lectures épisodiques. La capacité de l’auteur à m’endormir en moins d’un chapitre n’a pas aidé — mais doit être portée à son crédit —, l’insomnie est une compagne familière.

Alors pourquoi ça ne marche pas chez moi ?

Je vous copie ici un paragraphe assez typique de l’ambiance du récit :

« Dans le magasin 7-eleven, Takahashi, son étui à trombone sur l’épaule, choisit de la nourriture d’un air sérieux. C’est ce qu’il mangera au réveil, une fois qu’il sera rentré chez lui et qu’il aura fait un somme. Le magasin est désert. Le haut-parleur du plafond diffuse « Bakudan Juice » de Suga Shikao, Takahashi prend un sandwich thon-salade sous emballage plastique, puis soulève un pack de lait et compare les dates. Dans sa vie, le lait est un aliment qui revêt une grande importance. Il ne veut rien négliger. »

Alors je ne sais pas vous (et votre avis m’intéresse), je trouve le style d’une platitude navrante mise au service de détails anecdotiques. Cette volonté de précision sur des évidences comme le « sous emballage plastique » m’irrite. Les faits et gestes sans grande signification, comme la comparaison des dates de péremption, m’ennuient d’autant plus qu’elle est partagée par plusieurs personnages. L’angoisse de l’intoxication alimentaire serait-elle l’un des sous-thèmes du livre ? Même pas.

Autre détail agaçant : l’évocation régulière de titre de chansons et de leurs interprètes sans vous en dire plus. Murakami est un mélomane, et il use et abuse de ce procédé pour ambiancer son roman. Hélas, lui et moi, n’avons pas partagé la même playlist et se résume à du name dropping. Dans 1Q84, il citait des marques pour décrire les vêtements de ses personnages. Il précisait par exemple que l’héroïne portait une veste Agnès B. Je ne sais déjà pas à quoi ressemble aujourd’hui une veste Agnès B, mais alors il y a trente-cinq ans…

Mais je manque sans doute de culture musicale, de références en matière de mode et le style est peut-être mal rendu par la traduction. Pourtant, ce n’est pas tout.

Murakami ne tient pas ses promesses

Il allume les mèches de bâtons de dynamite qui n’exploseront jamais. Un petit exemple pour mieux comprendre.

Dans le récit, Eri, une des protagonistes du roman, est plongée dans un sommeil profond qui nous est abondamment décrit, avec le sens du détail évoqué plus haut. Dans ce sommeil, elle est projetée « ailleurs », dans une autre dimension, sans doute une métaphore du rêve. Elle s’y réveille sans qu’il ne s’y passe grand-chose non plus. Elle en reviendra, sans aucune explication, à nouveau endormie.

Un personnage, violent et inquiétant, est décrit dans un chapitre ultérieur :

« Assis à son bureau, Shirakawa fait tourner entre ses doigts un des crayons argentés marqué au nom de la société, en réfléchissant à quelque chose. Ce même crayon se trouvait tout à l’heure sur le sol de la pièce où Eri s’est réveillée. Sur le crayon est gravé Veritech. La pointe en est arrondie. Après avoir joué quelques instants avec, l’homme le pose à côté du porte-crayons sur lequel six autres identiques sont alignés. Il serait difficile de trouver des mines taillées plus fin. »

Alors là, je redresse une oreille, il existerait un lien entre Eri et Shirakawa ? Et je poursuis ma lecture, attendant enfin une révélation, quelque chose… SPOILER Ce crayon est juste une piste lancée en l’air par Murakami pour vous ferrer, cette correspondance ne sera jamais exploitée et toute supposition du lecteur n’engage que lui. Et pour les plus maniaques d’entre vous, les bouts ronds ou acérés des mines de crayon ne signifient rien non plus. L’auteur se plait à générer une ambiance de mystère, de fantastique, voire parfois de SF (dans 1Q84) mais il n’ira pas plus loin parce qu’il ne sait pas plus que vous où ça pourrait le mener. Il multiplie les sujets, donne quelques indications et charge le lecteur de reconstruire le sens, l’intrigue. Et j’ai envie de crier : mais tu vas les boucler tes arcs narratifs, bordel !

Au bout du compte, Murakami me parait écrire du fantastique et de la SF light, comme on parle de soda light, juste assez pour créer des enjeux, des situations qui vont ratisser large et attirer un public peu familier avec ces genres et facile à épater. Son succès prouve que cela leur suffit, et qu’ils se contentent de ce voile mystérieux, plus ou moins poétique, pour éprouver le grand frisson. Les mêmes qui proclament ne pas aimer la SF ou le fantastique se révèlent finalement bon public et pas bien exigeants. Quand on a l’habitude d’une littérature de l’imaginaire plus solide, plus construite, on repart désappointé.

J’ai évoqué à un ami cette nouvelle déception et il m’a dit : « Murakami, faut lire les nouvelles ! »

Vertige du néant

Aujourd’hui, une micronouvelle qui flirte avec la physique quantique !

Les gens n’aiment pas la téléportation. Ils détestent cet instant où chaque cellule de leur corps se désagrège, se dissout dans l’océan des probabilités quantiques.

via GIPHY

Certains ont juré de ne pas s’y soumettre. Leur religion soutient que rien ne saurait désunir ce que Dieu a créé. Si d’autres mondes existent, sont peuplés, rien n’autorise les croyants à s’y rendre. À leurs yeux, rien ne prouve qu’une personne téléportée conserve son intégrité. Des éléments, des ondes, des atomes étrangers pollueraient votre âme plus surement que le péché. Les plus superstitieux prétendent que le diable se cache derrière tout ça.

Ce sont des extrémistes. Pourtant, dans le cercle plus large des modérés, on trouve souvent chez les passagers cette anxiété, cette peur primitive de se retrouver mêlé un très bref instant au cœur du rien, dissout dans l’univers et d’y rester. Je fais partie des rares voyageurs à ne connaitre aucune appréhension. En fait, j’aime le néant. Je m’y baigne avec délectation. L’idée folle de traverser l’espace, me recombiner avec la poussière du cosmos m’enthousiasme, me réconforte aussi. J’ai l’espoir d’en ressortir plus vivant, plus sage, métissé avec la toile de fond de l’univers. Et je rêve en secret d’un accident, une panne d’exploitation, une erreur impossible pour m’y perdre à tout jamais et t’y retrouver peut-être.

Dénudé

Une micronouvelle comme une expérience intime, une troublante première fois…

Il est là, avec son matériel d’électricien, à genoux, devant les fils dénudés. Il a arraché la gangue de plastique et mis à nu le fil de cuivre. Il ne bouge plus. Il repense à la nuit dernière, contemple ses mains épaisses d’homme du bâtiment, grossières, aux ongles pas toujours nets à force de trainer dans la poussière. Ces mêmes mains, la nuit dernière, ont déboutonné une chemise avec une délicatesse nouvelle, dont il ne se serait pas cru capable. Il a effleuré du bout des doigts ce torse à la peau tendre et douce. Une peau blanche qui frémissait au moindre contact. Il ne sait pas bien pourquoi il était là, peut-être n’aurait-il pas dû. Mais il a continué, dégagé les hanches, les cuisses et le reste. Il s’est assez approché pour respirer l’odeur secrète de sa chair, l’incorporer à sa mémoire.
L’autre l’a défié du regard. Alors il a arraché son t-shirt, l’a jeté à ses pieds. Son buste épais, poilu, sans finesse, comme une ébauche, une expérience un peu ratée. Il a tremblé à son tour sous le frôlement des doigts, mais il a tenu bon. Il a laissé dévoiler son corps en fermant les yeux. Il était là, enfin, offert, dégagé de sa gangue protectrice. Il a suffi d’accepter, sans rien dire. Il a suffi d’oublier la honte. Être dénudé.

 

Un homme amoureux

Aujourd’hui, un extrait de mon prochain projet, nom de code “L’Inconditionnel soutien des morts”. Les vivants sont parfois plus morts à leurs désirs qu’ils ne le croient.

Ce soir, il était rentré tôt chez lui, et son appartement lui avait paru encore plus triste et désolé qu’à l’ordinaire. Il n’avait plus d’excuses pour appeler Emma. Il espérait en vain qu’elle en prendrait elle-même l’initiative.

Frédéric était arrivé à un stade d’adoration où il n’attendait plus rien de la jeune femme sinon partager un moment avec elle. Il sortit son téléphone de sa poche, soupira et le posa à côté de lui, sur la place vide du canapé. Il n’avait aucune bonne raison de la contacter.

Pourtant, il en crevait d’envie. Il pensait sans cesse à elle, avec un mélange de douceur et un creux dans l’estomac qui auraient dû l’alerter. Cela s’était fait petit à petit, sans qu’il y prenne garde. En peu de temps malgré tout et très peu d’occasions.

Frédéric sourit à demi. Il appréciait tellement sa compagnie, sans trop savoir pourquoi. Il se leva, partit dans la salle de bain et se regarda dans la glace un moment d’un œil méfiant. Il détestait son reflet, celui d’un homme déçu, aigri, le cœur enseveli depuis longtemps sous les regrets et la jalousie.

Il ne s’aimait pas, mais il l’aimait elle, sans pouvoir mettre de mots ou de raisons. Il ne s’expliquait rien, et ça, plus que tout, l’effrayait.

Il aurait pu, là, tout plaquer si elle le lui avait demandé, sans question, avec pour seule certitude d’avoir enfin posé un acte juste dans sa vie.

Voilà ce qu’elle était pour lui, la gardienne d’une vérité perdue, enfouie. Peut-être avaient-ils habité autrefois le même pays imaginaire, s’étaient rencontrés et aimés, en avaient conservé un souvenir, un écho lointain.

Frédéric fit couler de l’eau froide, s’en aspergea le visage. S’il continuait à s’imaginer des choses pareilles, il allait perdre pied.

Alors il éteignit la lumière de la salle de bain et partit se coucher. Il n’était pas seul ce soir puisqu’il pensait à elle. Et lorsque le sommeil voulut enfin de lui, elle avait envahi tous ses rêves.